Écritures d’Olivier Zimny
L’art au service de l’environnement
Le mot « écriture » se rapporte à une pratique concrète connue de toute l’humanité : celle de traduire les pensées et l’expression verbale en signes graphiques. Il se rapporte également au système de signes obtenu à travers cette pratique. Au pluriel, il fait référence à la diversité de ces systèmes grâce auxquels les hommes fixent leurs idées depuis l’Antiquité. Écritures est le mot choisi par Olivier Zimny pour intituler sa dernière série d’œuvres qui, en raison de leur abstraction, ne reproduisent littéralement aucun système d’écriture connu.
Pour sa série Écritures, Olivier Zimny récupère des cartons à cannelures ayant eu fonction d’emballage. Des fractures et des zones enfoncées sont laissées volontairement pour rendre compte de la provenance du matériau à prime abord utilitaire. A l’aide d’un cutter, l’artiste réalise des incisions sur l’une des parois de ce matériau le long de chaque cannelure. Il arrache ensuite les bouts saillants, laissant ainsi apparaître des segments ou l’intégralité des cannelures de la couche ondulée. Les segments se limitent parfois au trou laissé par le cutter. Le geste peut être continu ou intermittent et progresse de façon linéaire, bien que les déchirures puissent se poursuivre transversalement sur les cannelures voisines. Les cannelures entièrement dégagées, ou presque entièrement, structurent la composition, se situant souvent à des distances plus ou moins proportionnelles les unes des autres. Elles sont disposées à la verticale ou à l’horizontale et ces directions dominent la composition.
L’artiste procède la plupart du temps par soustraction de matière, un choix qui contraste avec la densité picturale de sa série En expansion. Le carton est à la fois support et matière plastique. En revanche, comme dans la série précédemment mentionnée, la lumière reste l’alliée stratégique de l’artiste ; c’est elle qui révèle le bas-relief de l'œuvre et crée des nuances surprenantes aux reflets dorés à partir du brun pâle du carton. L’addition de matière a lieu lorsque Zimny applique des couleurs plates sur certaines œuvres, se limitant à deux couleurs sur une même œuvre maximum dont le noir. Là encore, la lumière produit les nuances. Cette palette harmonise non seulement avec la série mentionnée plus haut, mais aussi avec les rendus chromatiques nocturnes que l’artiste obtient dans ses vidéos Berlin de 2009.
Il convient de souligner le pouvoir évocateur des Écritures d’Olivier Zimny. Les lignes structurales plus ou moins équidistantes rythment les compositions et font penser aux manières généralisées d’agencer l’écriture dans diverses civilisations - disposition en lignes ou en colonnes, sens linéaire. Dans les œuvres de Zimny, il y a aussi des espacements, des hauteurs et des durées exprimés par les différentes positions et longueurs des segments creusés : il est possible de songer à une sorte de partition. Les lignes horizontales figurent une temporalité comme dans un cahier ou une portée où elles encadrent le geste qui fixe progressivement la pensée sémantique et musicale. Les œuvres d’Olivier Zimny comportent une temporalité et un caractère discursif par la succession linéaire des signes qui traduisent cette fois-ci une pensée esthétique et une approche subjective de l’écriture. Chaque trace laissée sur le support devient signe plastique ; et la succession de signes, un discours : discours plastique avec ses pauses parfois - exprimées par les « blancs » laissés sur certaines cannelures -, mais aussi ses reprises, lorsque l’idée ressurgit dans l’esprit et redevient geste, puis signe sur le support. Ces traces suggestives laissées par incision et soustraction de matière sont indélébiles, comme celles qui furent réalisées jadis par le scribe sur la tablette mésopotamienne, la pierre de Rosette ou le Temple des inscriptions de Palenque. Elles interpellent sur le besoin des êtres humains de pérenniser leurs idées, leur histoire et leurs lois pour la construction et permanence des civilisations.
Mais il est également possible de faire allusion aux écritures par lesquelles l’homme crée des interactions avec et à travers la machine. De multiples références peuvent être mentionnées, comme les codes sources et les systèmes de codage propres au développement des télécommunications et de l’informatique : codes Morse et Wabun, cartes perforées, code Baudot, code binaire et autres systèmes de représentation de données. L’ensemble des œuvres rend compte d’un intérêt particulier pour les erreurs d'interprétation de données par les pilotes et les cartes graphiques. Lorsque ces erreurs affectent l’affichage des vidéos, elles se manifestent par des distorsions des couleurs - communément appelées glitches - dont l’artiste s’adonne à représenter plastiquement les vibrations. Cette démarche d’Olivier Zimny renoue visiblement avec l’observation des scintillements colorés qui se produisent sur l’eau mouvante de ses vidéos Berlin.
L’acte de récupération d’un matériau utilisé, ainsi que l’économie de moyens dans l'exécution des œuvres concernent des questions sociétales. L’intention primordiale de l’artiste est, pour reprendre ses propos, de « repenser l’art dans la mondialisation ». Il choisit le carton comme symbole de l’échange de marchandises et de la surconsommation. L’artiste entame alors une démarche expérimentale pour explorer les possibilités plastiques du matériau. « Au départ, je déchire et je creuse la surface de manière anarchique, aléatoire… Soudain, le ‘signe’ se révèle à moi : les caractères sont arrivés de façon fortuite », explique-t-il. Le geste devient alors intentionnel, et l’artiste conçoit son travail comme « l’écriture d’une histoire mondiale » portant sur ces questions sociétales. À travers cette démarche, Olivier Zimny donne au carton une seconde vie et un statut artistique tout en laissant des traces de sa fonction utilitaire première. En outre, en tant que support d’une forme d’écriture, le carton s'apparente désormais aux tablettes d’argile, à la pierre, au papyrus et au papier né en Asie. Il retrouve ainsi son statut de « matière noble ». Avec finesse et sensibilité, Zimny restitue au carton le rapport à la nature masqué par le procédé de transformation industrielle. Les traces de sa fonction première restent pour rappeler l’histoire du matériau ; elles contribuent à l’élaboration d’un récit autour de la surconsommation et de l’investissement individuel et collectif dans le développement durable.
Ainsi, cette série d’œuvres qui sensibilise à des questions sociétales et environnementales planétaires, éveille l’imaginaire et entraîne le spectateur dans un voyage intérieur à travers les civilisations. Elle permet d’évoquer diverses formes d’écriture de l’Antiquité à nos jours, de l’écriture manuelle à l’écriture numérique. Cependant, loin de vouloir imiter « à la lettre » des écritures connues, l’artiste se saisit plutôt des mobiles universels de l’acte d’écrire : le besoin humain de se représenter le monde et de traduire en signes graphiques les pensées et l’expression verbale ; celui aussi de transcrire logiquement et de façon discursive l’activité de l’esprit ; l’urgence de graver la pensée pour la pérenniser et la faire évoluer, faisant de l’écriture un geste civilisationnel ; la nécessité de l’être humain de se procurer des moyens d’interaction avec ses semblables et avec la machine, sans oublier les problèmes de décodage qui peuvent se produire. La pensée implicite dans les écritures à la fois émotionnelles et lucides de Zimny est celle d’une urgence écologique qui concerne l’humanité entière. Cette dernière est brillamment sollicitée dans l'œuvre par l’évocation des diverses écritures qu’il transfigure pour raconter une histoire commune.
Métaphore des forces universelles qui poussent à l’acte d’écrire, Écritures véhicule une réflexion à propos de l'attitude de l’être humain face à l'environnement. Par ailleurs, cette série représente une exploration de procédés techniques nouveaux vis-à-vis des anciens travaux de l’artiste. Pourtant, Olivier Zimny y reste fidèle aux intérêts profonds qui traversent ses créations : le rôle essentiel de la lumière qui révèle les formes et crée les nuances de la couleur ; la conscience de la matière plastique ; un choix restreint de couleurs dont le noir ; l’attrait pour la nature ; l’observation des scintillements et des vibrations de la couleur ; la conscience du geste. Enfin, la série Écritures présente une réflexion et une pratique nouvelles, mais conserve des points d’ancrage essentiels dans le parcours de l’artiste.
Par María Isabel QUINTANA MARÍN
Docteure en histoire de l’art et critique d’art